Sonus perfectus
Cette fête a lieu chaque année les 13 et 14 août au château de Grandson. J’avais déjà écrit sur la fête au château de Chillon il y a quelques années; mais on est là dans un genre très différent. Pas vraiment de reconstitution historique fidèle, mais beaucoup plus une évocation de l’aspect artistique et festif de cette époque. Et même humoristique, avec par exemple une démonstration d’un seigneur qui prend péniblement son bain annuel, ou cet étrange alchimiste qui jongle avec des poireaux! (Nous verrons plus loin qu’il a aussi d’autres talents). Et bien sûr un défilé continu de gens déguisés, ne respectant pas vraiment les styles vestimentaires de l’époque… On navigue souvent dans l’univers fantastique du Seigneur des Anneaux!
Bon, le moyen âge, c’est 1000 ans d’histoire, il y a de la marge…
Un des plaisirs de cette fête c’est de s’assoir dans la magnifique cour intérieure et de rencontrer des gens, boire un coup d’hydromel, manger du sanglier au miel, et faire des photos… Surtout que lorsque la nuit tombe, il y a des spectacles de toutes sortes. Bon, je passe sur les conteurs, troubadours et ménestrels, c’est incontournable dans ce genre d’événements… Mais tard ce soir là, il y avait quelque chose de vraiment spécial.
Sonus perfectus, par la Cie du Petit-Grimoire
J’avais l’intention de partir assez tôt, mais ma fille avait reconnu son prof de science sous un costume d’alchimiste, donc obligation de regarder le spectacle jusqu’au bout! De plus l’énorme installation de matériel a excité ma curiosité…
Je m’attendais à un numéro de cracheurs de feu, vu l’odeur de combustible omniprésente. En fait, personne n’a craché du feu – par contre le spectacle lui, pétait le feu – c’est le moins qu’on puisse dire…
L’alchimiste est entré en scène, jonglant avec des objets enflammés, tandis que son complice tapait sur toutes sortes d’instruments de percussion en feu, tout en entamant un dialogue en latin.
En plus de l’originalité du spectacle, un vrai bonheur et une aubaine pour photographier! Heureusement, j’avais mon 6D avec un 24-105mm, mais l’idéal aurait été une optique plus lumineuse et un pied…
Qu’importe, j’ai quand même réussi quelques photos, les traînées de feu produisant curieusement un effet de flash, qui fait que même un personnage mobile derrière des flammes paraît net, et ce même avec une pose d’une seconde!
Fasciné par ce spectacle, et aidé par ma fille Béatrice, je suis entré en contact avec ces deux artistes, Manuel Gleyre, jongleur, et Stéphane Borel, percussionniste. J’ai choisi de vous les présenter…
Stéphane Borel est un percussionniste professionnel, musicien classique, compositeur et enseignant à la Haute École de Musique. Ses talents multiples lui permettent de se lancer dans des improvisations incroyables. Il tape sur tout ce qui résonne: bidons, cloches, gongs, casseroles et j’en passe… Quand tout ce matériel est noyé dans les flammes, c’est encore plus impressionnant!
Manuel Gleyre est professeur de sciences et jongleur. Il a appris le jonglage en autodidacte, il est aussi fasciné par les alchimistes du moyen-âge, dont il a adapté de façon onirique le monde mystérieux. Ces explosions de feu, assorties de formules en latin, font souvent penser à leurs expériences étranges pour trouver la pierre philosophale, mais aussi la recherche du son parfait (sonus perfectus!). Le jonglage est avant tout une affaire de confiance en soi et de coordination. Et de la confiance, il vaut mieux en avoir quand on a trois torches enflammées en l’air!
Les deux compères possèdent une collection impressionnante d’objets utilisés dans leurs spectacles: en plus des instruments de percussion «classiques», toute une série sont bricolés et tarabiscotés pour souligner l’anachronisme: ressorts, miroirs, chapeaux de métal etc… Enfin, des trucs qui supportent la chaleur! À noter aussi le travail et l’imagination sans limites de la costumière, Sabine Margot.
Je leur ai évidemment demandé pourquoi ils ne crachaient pas de feu, la réponse de Manuel Gleyre est très claire: la sécurité pour le public d’abord, et la sécurité des acteurs ensuite. Cracher le feu comporte des risques d’intoxication des voies respiratoires. Quand aux brûlures, elles sont inévitables lors de rafales de vent, mais jamais bien graves. On ne dirait pas, en regardant les photos! Et je peux vous dire que dans les premiers rangs, il fait chaud. Ils m’ont expliqué que plusieurs collaborateurs étaient disséminés dans le public pour assurer la sécurité.
La Compagnie du Petit-Grimoire se produit dans la plupart des lieux historiques de Suisse Romande (Château de Chillon, abbaye de Romainmôtier, le village médiéval d’Estavayer), mais pas de façon régulière. Il y aussi des projets plus «modernes», avec de la musique électronique et des projections vidéo, associés à la compagnie Lumen.
Ce qui est aussi intéressant, c’est que ces deux artistes sont friands de lieux insolites pour leur spectacle: forêt, plans d’eau, montagne, et bien d’autres. Je retournerai volontiers les photographier, avec un trépied cette fois!